Et maintenant, on fait quoi ? (1/3): l’ère Macron
Depuis son arrivée au pouvoir il y a un peu moins d’un an, Emmanuel Macron a mené à toute vitesse une politique de classe sans vergogne. Profitant de la relative apathie des classes populaires et de la population en général après une campagne électorale marathon, il a pris le parti de mettre en place ce que bien des éditorialistes se plaisent à placer sous le vocable de Blietzkrieg, à savoir une guerre éclaire. Le rêve de l’oligarchie de Bercy se voit exaucé avec l’arrivée au pouvoir de l’un des leurs et la mise au pas du pays dans ce qui constitue assurément une stratégie du choc si chère à Naomi Klein. Le monarque présidentiel, profitant du pouvoir que lui confère les institutions de la Vème République, a clairement mis en place son storytelling, imposer un certain imaginaire qu’il a conçu pendant la campagne et gouverner au profit de la petite minorité de Français qui l’a porté au pouvoir. Il faut reconnaitre au successeur de François Hollande une certaine habileté politique dont on le pensait incapable au départ. Il faut dire que la comète Macron ne cesse de déjouer les pronostics depuis son entrée en campagne. Beaucoup de monde, moi y compris, considéraient que sa stratégie était vouée à l’échec. Monsieur Macron ne pouvait pas gagner l’élection présidentielle, il le fit. Monsieur Macron n’aurait pas de majorité à l’Assemblée nationale pour gouverner une fois élu, il l’obtint. Monsieur Macron ne parviendrait pas à faire passer les ordonnances démantelant le code du travail sans provoquer le blocage du pays, il réussit sans trop d’encombres à les faire adopter.
Voilà donc près d’un an que le locataire de l’Elysée affiche une insolente réussite. L’on pourrait, c’est assez aisé et confortable, se dire que ledit locataire ne profite que de sa bonne étoile, du fait que la vie politique française est un champ de ruines et que, finalement, ce n’est qu’un pur hasard que tout cela se produise. On peut aussi, c’est mon parti, dire qu’au contraire, Emmanuel Macron est la suite d’une logique qui nous gouverne depuis des décennies et qu’il est à la fois l’aboutissement et le climax de cette tendance, celle qui sous couvert de moderniser le pays le livre aux politiques néolibérales qui font exploser inégalités et pauvreté. Je crois également qu’il faut reconnaitre à Emmanuel Macron une qualité certaine dans la tentative d’imposer un imaginaire en même temps que de porter une attaque à la fois systémique et globale. Le moment Macron comme certains l’appellent – je lui préfère l’expression d’ère Macron, bien plus parlante à mes yeux – est peut-être, c’est ma conviction, l’enclenchement d’une forme de lutte finale. Le capital triomphant se sent désormais tout puissant dans ce pays pour attaquer le système social de ce pays hérité du CNR et qui fut l’occasion de le faire reculer. Après avoir avancé durant plus d’un demi-siècle, voilà ce capitalisme au faîte de sa puissance et prêt par le biais de Macron à tenter de s’imposer définitivement. Pour autant, cette ère Macron est également le moment où l’hybris de ce capitalisme qu’il représente est à son apogée. En cela, les événements actuels me semblent être une occasion pour cesser d’être dans une posture défensive et repasser à l’offensive vis-à-vis du capital.
L’attaque globale et systémique
Je le disais en introduction, Emmanuel Macron est à la fois une rupture et une continuité avec ce qui a pu se faire pendant des décennies dans notre pays. Il est assurément en continuité parce que le corpus idéologique qu’il porte et les outils qu’il utilise (les concepts de réforme, de pédagogie ou d’efficacité pour ne citer qu’eux) sont les mêmes que nous connaissons depuis des décennies, en somme depuis qu’un jour de mars 1983, Pierre Mauroy a annoncé le tournant de la rigueur sur le perron de Matignon et que le Parti socialiste a arrêté de l’être. Depuis, peu importe le parti au pouvoir c’est à la même logique que nous avons eu droit. Il y eut évidemment des différences de degré dans les politiques menées, celle de Lionel Jospin – qui dans la campagne présidentielle de 2002 avait affirmé que son projet n’était pas socialiste dans une forme d’apocalypse, de révélation crue – n’était assurément pas la même que celle menée par Nicolas Sarkozy mais il n’y avait guère de différence de nature. Toutes cherchaient à s’adapter au marché tout puissant. A cet égard l’abandon des nationalisations puis la conversion aux privatisations du PS est un symbole étourdissant de ce reniement idéologique.
Emmanuel Macron s’inscrit donc pleinement dans cette logique, la porte même à incandescence. Il est toutefois également porteur d’une rupture dans le degré de la politique menée. Effectivement, jamais depuis le CNR, un gouvernement de ce pays n’avait mené une politique à ce point favorable au capital et destructrice à l’égard du reste. Les gouvernements qui ont précédé et ouvert la voie à Emmanuel Macron ont bien agi pour mettre à mal le modèle hérité du CNR mais à aucun moment ceux-ci n’ont pu ou voulu mener une attaque d’une telle ampleur. Il s’agissait de repousser l’âge de la retraite par ci, de procéder à des privatisations par là ou de faire baisser le nombre de fonctionnaires par ici mais jamais de mener une attaque globale et systémique comme est en train de le faire le monarque présidentiel. En s’attaquant de front au code du travail, au modèle de l’assurance chômage pour que l’Etat ait toute la main sur cette question, au statut du fonctionnaire et désormais à la SNCF, Macron et son gouvernement entendent bien entamer la lutte finale pour faire plier tous les foyers de résistance au capital dans ce pays, du service public au système de cotisation. Voilà quel est le rêve et l’objectif du monarque Macron, de transformer la France en entreprise où les seules choses qui comptent sont le niveau de déficit, la part de dette dans le PIB et la richesse des plus riches de cette société. Et tant pis si les classes populaires crèvent la bouche ouverte.
L’absence d’imaginaire alternatif
Comme je l’expliquais plus haut, l’ère Macron que nous vivons actuellement est l’aboutissement d’un long processus. Si le successeur de François Hollande se sent assez fort pour mener l’attaque systémique et globale dont j’ai parlée c’est, à mes yeux, parce qu’il sent qu’il n’existe pas d’imaginaire alternatif à celui qu’il propose. En somme, Emmanuel Macron fait sienne en la réadaptant à sa sauce la théorie de Francis Fukuyama sur la fin de l’Histoire. Le penseur américain, via cette théorie, expliquait que la chute de l’URSS avait provoqué l’achèvement de l’Histoire et donc la fin des guerres et de la violence. La suite lui a assurément donné tort puisque les conflits, loin d’avoir disparu, se sont étendus. Toutefois si fin de l’Histoire il y a eu – ou tout du moins telle que l’on a tenté de l’imposer – c’est bel et bien d’un point de vue économique. L’URSS disparu, c’est l’alternative au capitalisme qui disparaissait avec elle si bien que Slavoj Zizek, un philosophe marxiste slovène, a un jour eu ce bon mot disant qu’il était plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme. Au-delà du caractère humoristique de l’expression, il y a me semble-t-il une part de vérité qui se cache derrière. En chutant et surtout en dévoyant totalement les théories de Marx, l’URSS a plongé dans le désarroi et dans un brouillard intense tous ceux qui promeuvent un autre système que le capitalisme.
On ne se relève, en effet, pas facilement d’une telle bérézina intellectuelle si bien que près de 30 années plus tard, la gauche de gauche est encore bien mal en point un peu partout dans le monde et en France. Dans leur excellent ouvrage Ce cauchemar qui n’en finit pas, Pierre Dardot et Christian Laval expliquent à merveille à quel point l’absence d’un imaginaire autre que celui porté par les tenants du capitalisme est l’une des raisons les plus profondes des défaites intellectuelles, politiques et électorales. Il est en effet impossible de construire quelque chose en se contentant de s’opposer et de se définir par la négative. « Une idée devient une force quand elle s’empare des masses » avait coutume de dire Marx et je suis intimement persuadé que pour qu’une idée s’empare des masses il faut que cette idée soit adossée à un imaginaire joyeux. C’est là la victoire du capitalisme qui s’est adossé à des affects joyeux ou aimerait que tout le monde ressente ceci. Plutôt que de se contenter de s’opposer et de prendre la figure de Goldstein dans 1984, il est éminemment important de construire un autre imaginaire – nous y reviendrons – et de plutôt prendre la figure de John le sauvage dans Le Meilleur des mondes.
L’hybris macronienne
Tout est-il donc perdu ? Ne reste-t-il plus qu’à baisser la tête, les bras et se laisser dépecer par la caste au pouvoir ? Evidemment et sans surprise la réponse est négative. Je crois précisément que cette position de toute puissance que le capital est persuadé de détenir est symbolisée à merveille par la morgue et le mépris de Monsieur Macron. Depuis son arrivée au pouvoir il ne cesse de revêtir les oripeaux de la légitimité et ce, à un double niveau. Le premier, le plus évident, c’est lorsqu’il explique qu’une majorité de Français a voté pour lui, tentant de faire oublier qu’il est l’un des présidents les plus mal élus de la Vème République alors même qu’il se trouvait en face de l’extrême-droite et que son élection est bien plus une élection par défaut qu’une élection d’adhésion mais passons, tous les présidents ou presque se plaisent à raconter cette fable. Le deuxième niveau de légitimité qu’il se plait à ressortir à tout va, le plus intéressant, est précisément quand il explique que contrairement à ses prédécesseurs, lui fait ce qu’il avait annoncé. Là aussi nous sommes en présence d’une fable. Emmanuel Macron a, durant la campagne, présenté son projet comme étant libéral certes mais « en même temps » social. En cela il s’opposait à François Fillon et son programme punitif. Depuis qu’il est au pouvoir pourtant, le monarque présidentiel a fait fi de la question sociale pour se contenter de mesures punitives – à l’exception, il est vrai, des grandes fortunes de ce pays qui sont ravies de la politique menée.
De la même manière, le démantèlement de la SNCF n’avait jamais été annoncé lors de sa campagne tout comme le contenu des ordonnances sur le code du travail. En réalité, Emmanuel Macron a trahi tout le monde ou presque, y compris ceux qui ne faisant pas partie des plus fortunés de ce pays ont sincèrement voté pour lui, par exemple les retraités qui subissent eux aussi de plein fouet la politique menée par le gouvernement. En décidant de s’attaquer à la SNCF en même temps que d’annoncer une réforme par jour, sa fameuse Blietzkrieg, Emmanuel Macron a sans doute commis le péché d’hybris, de démesure. En se croyant tout puissant, en assumant la confrontation, le monarque présidentiel était persuadé d’emporter une victoire décisive et définitive parce qu’il était convaincu qu’il aurait l’opinion de son côté et que le mouvement social serait broyé avant même d’avoir commencé. La conjonction des colères et la convergence des révoltes n’étaient pas prévues. Le gouvernement se retrouve pris à son propre piège. Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir a construit l’image d’un président autoritaire qui n’a pas la main qui tremble et qui pilonne la concertation. A l’aube d’un mouvement social qui s’annonce dur – et qui, je l’espère, le sera – le monarque n’a pas d’échappatoire. Dans la bataille qui s’engage il n’y aura pas de demi-victoire ou de demi-défaite d’un côté comme de l’autre. C’est pourquoi il me semble que nous sommes à l’orée d’une lutte décisive et qu’il y a une occasion certaine qui se présente. Il se rêve en Zeus, transformons le en Icare que son ambition démesurée a perdu.
Source: Et maintenant, on fait quoi ? (1/3): l’ère Macron | La plume d’un enfant du siècle