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Au sommaire :
– “CHENNAI/MADRAS : UNE VACHE SACREE SUR LA ROUTE DE LA SOIE…” par Richard Labévière
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– “DIPLOMATIE DES SOMMETS… DE L’INCONSISTANCE” par Guillaume Berlat
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– “PIERRE DE VILLIERS : SE SERVIR…” par Richard Labévière
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Et nos autres rubriques :
– En Bref : http://prochetmoyen-orient.ch/en-bref/
– Dans la presse : http://prochetmoyen-orient.ch/dans-la-presse/
– Semaine au Coeur : http://prochetmoyen-orient.ch/#semaineaucoeur
Bonne lecture,
L’équipe ProchetMoyen-Orient
DIPLOMATIE DES SOMMETS… DE L’INCONSISTANCE
« Les discours, les conférences, les lois elles-mêmes sont impuissantes à combattre les nécessités économiques qui étreignent le monde. Il faut s’y adapter ou périr » écrivait Gustave Le Bon dans Les incertitudes de l’heure présente. En quelques mots, il pose un problème important dans un monde aussi imprévisible que dangereux, la capacité des grandes conférences internationales à régler durablement les problèmes de notre monde du XXIe siècle. Si l’on prend le temps de fouiller dans la boîte à outils des diplomates en charge du règlement des grands problèmes de la planète, il existe un instrument peu souvent décrit, celui de la pratique des grands rencontres internationales à large couverture médiatique, ce que l’on qualifie aujourd’hui de sommets.
Les sommets sont de plus en plus fréquents et brefs mais ils font référence dans le monde médiatique qui fait la pluie et le beau temps. Le président de la République, Emmanuel Macron vole de Davos (forum économique) à Dakar (partenariat mondial pour l’éducation), pour s’en tenir à deux exemples parmi d’autres. Il participe aux sommets européens, de l’OTAN, aux G8, G20 et autres G5 Sahel qui ont pour particularité de se tenir au niveau des chefs d’État et de gouvernement. En ce sens, il pratique à la perfection ce que l’on pourrait qualifier de diplomatie des sommets. Quelles sont les évolutions intervenues dans l’histoire de la diplomatie qui ont conduit à cette gouvernance des relations internationales ?
LE MONDE D’HIER : LES SOMMETS DE LA DIPLOMATIE
Force est de constater que les pratiques diplomatiques ont sérieusement évolué depuis la genèse de cette discipline à nos jours, en passant d’une diplomatie sécrète et discrète vers une diplomatie viennoise et lacustre. Faisons un petit détour par le passé pour mieux éclairer le présent de plus en plus incompréhensible.
La diplomatie secrète et discrète
Comment caractériser, très schématiquement la diplomatie d’hier ? L’ancienne diplomatie (essentiellement bilatérale), celle que l’on pratique depuis la nuit des temps (elle serait le deuxième plus vieux métier du monde avec le renseignement), présente plusieurs caractéristiques qui permettent de mieux l’appréhender. À défaut d’être toujours secrète, elle est le plus souvent discrète. À défaut d’être toujours bilatérale, elle se pratique le plus souvent en cercle restreint. À défaut d’être toujours fermée, elle se pratique souvent portes presque closes. La diplomatie se conçoit en dehors des regards extérieurs pour lui permettre de travailler en confiance et sans la pression publique. Le but recherché est assurément la plus grande efficacité. Le tapage n’a jamais eu bonne presse dans les cercles diplomatiques feutrés. La véritable épreuve de la diplomatie n’est pas la gravité, mais la complexité des évènements, leur multiplicité et leur rapidité comme le rappelait Alexis Léger, dernier secrétaire général du Quai d’Orsay avant la Seconde Guerre mondiale, diplomate plus connu sous son nom de plume Saint-John Perse, prix de Nobel de littérature.
Mais au fil du temps, les pratiques vont évoluer vers une plus grande publicité, vers une plus grande participation des acteurs concernés aux rencontres internationales. Est-ce bien, est-ce un mal ? Il ne nous appartient pas d’en juger tant la complémentarité entre diplomatie bilatérale et multilatérale est incontournable pour permettre d’utiliser tous les leviers d’action de cette pratique interétatique des relations internationales. Ne pas en jouer serait à tout le moins suicidaire !
La diplomatie viennoise et lacustre
Les formats vont s’élargir au fur et à mesure que la parole diplomatique est moins contrainte et plus déliée que dans le passé.
Souvenons du Congrès de Vienne de 1815 après la défaite de Napoléon qui voit le gotha de la diplomatie (les Talleyrand, les Metternich…) se déplacer en grandes pompes durant plusieurs mois dans la capitale de l’Autriche-Hongrie pour décider du sort de l’Europe et de la France défaite ! Première ébauche du concert des nations, première ébauche de la diplomatie des Congrès, première ébauche de la diplomatie multilatérale qui prendra son envol après le premier conflit mondial (la SDN à Genève, fruit du traité de Versailles) mais surtout après la Seconde Guerre mondiale avec l’Organisation des Nations Unies et toutes les institutions spécialisées de la famille de l’organisation universelle, couvrant un large spectre de la gouvernance des relations internationales sans parler des structures sui generis proliférantes. Les vainqueurs dictent leur loi aux vaincus. Les rapports de force dominent toujours les relations internationales et la diplomatie multilatérale fondée sur le mythe de l’égalité souveraine des États.
Souvenons-nous de la tradition de feu la Société des nations à Genève qui pratiquait la diplomatie des lacs et des traités généreux dans leur approche (bannir la guerre, certaines catégories d’armements) mais irréalistes dans leur mise en œuvre (fondés sur la théorie de l’ambiguïté constructive) ! Faisait alors défaut le principal ingrédient du cocktail dans les relations internationales, à savoir la confiance. Souvenons-nous de la suite, la Seconde Guerre mondiale, l’une des plus meurtrières ! Elle débouche sur l’adoption à San Francisco de nouveaux instruments internationaux destinés à éviter la guerre par la coopération entre les État. Elle donne lieu à un certain decorum, à une scénographie (la photo de famille, les poignées de main chaleureuses…), à une couverture médiatique (par les fameux correspondants de presse parfois intoxiqués par les hommes politiques). De privée, la diplomatie devient publique, voire médiatique.
On (une sorte de dieu réincarné dans la bienpensance des salons au langage sucré) est persuadé que la pression de l’opinion publique, de la fameuse communauté internationale – une sorte de communauté de la conscience universelle – conduira les dangereux et fourbes diplomates à sortir enfin du bois et à éviter les mauvais coups en douce dont ils étaient coutumiers dans le passé. Les temps changent. Les dirigeants politiques veulent prendre en main la destinée du monde. Ils souhaitent également se mettre en scène sur la scène internationale pour se faire pardonner leurs erreurs sur la scène intérieure.
Petit à petit, ce qui était l’exception devient la règle. La diplomatie change de nature. En faisant un mauvais jeu de mots, elle frôle aujourd’hui les sommets.
LE MONDE D’AUJOURD’HUI : LA DIPLOMATIE DES SOMMETS
Pour mieux le cerner, ce phénomène de la diplomatie des sommets doit s’appréhender dans ses deux dimensions : quantitative et qualitative. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat concret et tangible n’est pas toujours à la hauteur des espoirs mis en lui par les crédules et autres Candide qui détiendraient la vérité révélée contrairement à ce que peuvent penser les Cassandre et autres rabat-joie.
La dimension quantitative
L’observateur attentif des relations internationales remarque un double mouvement dans la pratique multilatérale de la diplomatie. D’abord, le nombre des organisations internationales universelles (toute la famille de l’ONU) et régionales (Union européenne, Conseil de l’Europe, OSCE, OTAN, Union africaine, Ligue arabe, CDEAO, SADCC…) s’est accru de manière exponentielle au cours des dernières décennies. L’objectif recherché est de tenter de régler tous les problèmes consécutifs à la déréglementation inhérente à la mondialisation par la voie coopérative. L’on essaie ainsi de restreindre le champ de la diplomatie coercitive (sanctions, rétorsions, action militaire le cas échéant). Ensuite, à côté des institutions internationales pérennes et traditionnelles viennent se greffer des structures plus informelles à géométrie variable (G5 Sahel, G7, G8, G20…) destinées, au départ, à répondre à des besoins immédiats que les organisations internationales traditionnelles ne parviennent pas à satisfaire en raison de leur lourdeur et de leur inertie intrinsèques. L’informel vient au secours du formel pour venir au secours d’une planète de plus en plus dangereuse.
Le plus souvent, ces cénacles se réunissent sur une ou deux journées, selon une présidence tournante, au niveau des chefs d’État et de gouvernement pour marquer l’importance qu’ils attachent à des problématiques émergentes (commerce, paradis fiscaux, terrorisme, financement du terrorisme, criminalité organisée, SIDA…). Il s’agit également de l’envoi de signaux forts à la communauté internationale dans la perspective de solutions rapides, concrètes, efficaces et opérationnelles par les institutions multilatérales classiques. Le but avoué est d’éviter le pathos des organisations classiques et les procédures qui prennent le dessus sur la substance. Force est de constater que la réunion de Davos permet de discuter de problématiques économiques et financière de manière informelle mais en parlant « cash » pour reprendre ce terme anglais entré dans la langue de Molière. Pour être pragmatique et souvent fort utile, cette approche ne résout pas tout tant les mauvaises habitudes ont la vie dure dans la société internationale comme dans la vie nationale.
La dimension qualitative
Qu’émerge-t-il concrètement de ces grand-messes ? Si le résultat n’est pas négligeable en termes d’affichage et de prise de conscience d’une problématique nouvelle qui peine à être prise en compte par toutes les institutions multilatérales classiques, elles ne peuvent donner que ce qu’elles sont et ce qu’elles ont. Leur format informel n’en faisant pas une instance décisionnelle, elles ne peuvent émettre que de simples recommandations, si importantes soient-elles, qui n’ont qu’une valeur incitative, indicative, morale que leur confère la présence des grands de ce monde. Ces rencontres, souvent préparés par des experts proches des dirigeants (Cf. les « Sherpas » des G7, G20), valent plus par ce qu’elles existent que par ce qu’elles produisent en termes de décisions opérationnelles. Sans pratiquer le dénigrement systématique, cette diplomatie relève souvent de la diplomatie de la tribune et de l’image qui s’accompagne de la diplomatie de l’essuie-glace, de la diplomatie du kleenex (jetable après usage).
Comme dans certains festivals artistiques, le « off » est plus intéressant et utile que le « in ». L’important est plus dans le paraître que dans l’être. L’illusion est parfaite, mais la réalité plus triviale. La cohérence n’est souvent que de façade faute d’accord sur l’essentiel entre des participants que tout oppose sur les objectifs de leur action commune Parfois, ces sommets internationaux parviennent à l’inverse du but recherché surtout dans les domaines économique et financier.
L’impression prévaut, parfois si ce n’est le plus souvent, que le pouvoir politique n’est plus rien sans la bénédiction du pouvoir économique1. Il ne s’agit parfois d’un de ces « pétards diplomatiques » qui font beaucoup de bruit, mais sont dépourvus d’efficacité. Tel est le principal reproche que l’on peut leur adresser. Mais force est de reconnaître que l’on n’a pas encore inventé mieux pour lutter contre la montée de la défiance et de la méfiance dans les relations internationales. Parfois, les relations personnelles parviennent à désamorcer des crises latentes entre États dans des périodes de grande tensions que la diplomatie multilatérale classique ne parvient pas à régler tant les contraintes procédurales, voire liturgiques sont importantes et insurmontables. Parfois, elles n’y parviennent pas comme en témoigne le lot d’invectives que déverse régulièrement le président turc sur ses homologues en dépit de la mansuétude dont ils font preuve à son égard.
Une fois présenté le cadre conceptuel dans ses différentes dimensions, il importe de passer de la théorie à la pratique pour tenter de mesurer l’efficacité concrète de tous ces grands sommets.
LES SOMMETS DE L’INCONSISTANCE
La prolifération et la fréquence de ces sommets internationaux à grand spectacle leur fait perdre de leur spontanéité et, par voie de conséquence de leur efficacité, ce que l’on peut amèrement regretter si l’on est attaché au règlement des problèmes par la voie diplomatique plus que par la voie militaire. Ces sommets internationaux conjuguent efficacement diplomatie du paraître et diplomatie du vide.
La diplomatie du paraître
Force est de constater que « dans ce monde de pragmatiques, les gens importants ne savent que faire une seule chose, signer des chèques. Ils signent des chèques… octroient des aides….font des dons….annulent les dettes. L’argent sauve et guérit »2. Ce fut le cas pour la réunion du partenariat mondial pour l’éducation à Dakar où les participants ont fait assaut de largesse financière, du moins dans les mots. Des chiffres pour épater la galerie mais qui ne résolvent pas nécessairement les problèmes à la racine du mal. Les textes adoptés traduisent souvent un attrait certain pour la platitude et la litote diplomatique. Nous sommes loin des idées claires. Nous serions plutôt dans ses impasses et ses ambiguïtés. Incontestablement, les nouveaux moyens de communication facilitent la diffusion d’une information choc et répandent l’illusion de résultats concrets à court terme. Souvent, faute de pouvoir régler un problème complexe, l’objectif consiste à revêtir le résultat final d’un masque de complexité et de technique pour faire passer des vessies pour des lanternes. Ni vu ni connu je t’embrouille. Ainsi, le tour est joué. Parfois, ce sont des blancs-seings annonçant de noirs desseins.
Nous sommes le plus souvent au cœur d’une diplomatie médiatique et instantanée qui surfe sur les émotions et les passions au lieu de travailler sur la raison, la stratégie et le long terme. L’éphémère l’emporte sur le pérenne. Au passage, cette nouvelle forme de diplomatie pratique la « fake news » (le bobard), l’annonce intempestive qui n’a souvent qu’un rapport très éloigné avec la réalité dans ce qu’elle a de plus triviale. Souvenons-nous du sommet du G8/G20 à l’issue duquel Nicolas Sarkozy annonçait triomphalement la fin des paradis fiscaux ! Quelques années, les gogos découvraient sidérés l’existence des « Panama Papers » et autres « LuxLeaks », démontrant, s’il en était encore besoin, que le mal n’avait pas été extirpé. À chaque sommet, Jupiter dégaine ses chèques en bois.
La diplomatie du vide
« Il est établi que d’un conseil ministériel, d’un conclave, d’une conférence internationale au sommet se dégage une odeur de charogne qui fait fuir les vautours les plus basés. À un niveau plus modeste, un conseil d’administration, un état-major, la réunion d’un corps constitué quelconque sont autant de ramassis crapuleux qu’un homme moyennement honnête ne saurait fréquenter » écrit Michel Tournier dans Le Roi des aulnes en 1970. Sans aller jusqu’à ces extrémités, ce jugement comporte une part de vérité importante pour qui sait ou veut bien décrypter le langage abscons du communiqué final de l’un de ces sommets internationaux dont il ne sort parfois de concret qu’une simple photo de famille. Car, des problèmes épineux de quelque nature qu’ils soient ne peuvent être réglés en quelques heures par la magie de la rencontre des plus hauts dirigeants de la planète. Y compris même si les discussions sont préparées très en amont par leurs experts. La longueur d’un communiqué ne représente pas le mètre étalon de sa consistance. Ce serait plutôt le contraire.
Si tôt finis, si tôt oubliés tant ils n’inscrivent pas assez leur action dans le long terme et dans la régularité des sommets. Par ailleurs, il convient de se rappeler la pertinence de l’action internationale (comme de l’action nationale) peut se résumer autour de trois exigences : la norme, le juge pour sanctionner la violation éventuelle et le gendarme pour la faire appliquer en cas de mauvaise volonté. Or, par leur nature même, les résultats de ces sommets internationaux ne répondent à aucun de ces trois critères cumulatifs. Nous en restons donc à l’écume des jours, à une diplomatie incitative et non à une diplomatie prescriptive qui est la seule qui compte pour réguler la vie internationale. Cette diplomatie des sommets tourne souvent au sommet de la diplomatie du bling-bling. En un mot, rien à voir avec l’authentique diplomatie qui est exigeante et inscrit son action dans le temps long et dans l’action concrète (règles, vérification, sanction) et non dans l’effet d’annonce.
« Puisque les mystères nous échappent, feignons d’en être les organisateurs » disait Jean Cocteau. Face à de graves problèmes structurels, rien ne sert d’utiliser des artifices de joueurs de bonneteau ! Cessons, une bonne fois pour toutes, d’envoyer des messages contradictoires qui brouillent l’essentiel. Le temps des hypocrisies diplomatiques est révolu. Les citoyens, européens en particulier comme le démontrent avec constance les résultats des dernières élections législatives en Allemagne, en Autriche, en Italie, acceptent de moins en moins d’être trompés. Il n’y a pas de faute plus grave que de travestir la réalité telle qu’elle est. Il va de soi que la diplomatie publique et médiatique du spectacle est en voie de balkanisation, d’ubérisation atteint rapidement ses limites.
Elle doit être sérieusement repensée, « transformée » (pour utiliser le langage cher à notre président jupitérien) afin de retrouver toute sa cohérence – ce dont elle manque passablement – et demeurer un outil stratégique maîtrisé. Confrontée à une Union européenne durablement affaiblie et à une chancelière allemande aux pieds d’argile sans parler d’une Amérique de moins en moins indispensable, la diplomatie française serait tout à fait dans son rôle de passeuse d’idées en lançant un vaste chantier de réflexion sur l’avenir de la gouvernance internationale au moment où nous devons tous collectivement relever des défis extérieurs redoutables. Ceci contribuerait vraisemblablement à en finir avec cette diplomatie des sommets… de l’inconsistance !
Guillaume Berlat
9 avril 2018
1 François Bonnet/Romaric Godin/Manuel Jardianud/Ellen Salvi, Le Roi-Soleil, la France sommeille, www.mediapart.fr , 26 janvier 2018.
2 Charles Tsimi, Rihanna-Macron pour l’éducation en Afrique, Le Blog de Charles Tsimi, www.mediapart.fr , 5 février 2018.
Source: DIPLOMATIE DES SOMMETS… DE L’INCONSISTANCE – Proche&Moyen-Orient.ch
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